Barbara, 15 ans sans elle

Quelques jours avant le quinzième anniversaire de la mort de Barbara, je me devais de rendre un hommage à celle qui accompagne ma vie. Voici quelques anecdotes que je partage avec vous aujourd’hui. Ma première rencontre avec les chansons de l’artiste fut grâce à une bande d’amis avec lesquels je partageais mes virées nocturnes. Parmi eux, Yann Lemée qui allait devenir quelques années plus tard Yann Andréa, secrétaire particulier et compagnon des dernières années de vie de Marguerite Duras. Yann était dingue de Barbara et grâce à lui, pendant des nuits entières, j’ai découvert l’univers de la chanteuse. Jusqu’à lors, je ne connaissais que quelques titres parmi les plus connus, comme « l’aigle noir » ou « une petite cantate ». A cette époque, venait de sortir un double 33 Tours avec une magnifique pochette qui représentait, sur fond blanc, un oiseau (un aigle, sans doute, je ne sais plus) et « Barbara » écrit en lettres rouges. Il s’agissait d’un enregistrement public de l’Olympia 1978. Sur cet album, il y avait entre autres, le sublime « Perlimpinpin » que Yann écoutait en boucle. Nuit après nuit, nous écoutions religieusement et chantions à tue-tête :

« Pour qui, comment quand et pourquoi ? 
Contre qui ? Comment ? Contre quoi ? 
C'en est assez de vos violences. 
D'où venez-vous ? Où allez-vous ? Qui êtes-vous ? Qui priez-vous ? 
Je vous prie de faire silence »


Tout cela en sirotant des gin-tonic, au petit matin, nous n’étions pas beaux à voir mais je garde de ces nuits, des moments fulgurants où la voix et les textes de Barbara sont entrés de plain-pied dans ma vie de tout jeune adulte. « Perlimpinpin » n’est pas le seul titre exceptionnel de ce double album mais il est dans ma mémoire comme celui qui m’a révélé la grande artiste qu’est Barbara et sans doute un de mes préférés. Barbara donnait beaucoup de concerts à Paris : Olympia, Bobino, … et partait aussi en tournée en Province. En 1981, nous avons eu la joie de voir programmée sa venue au théâtre de Caen, pour un unique récital. C’était à l’automne, quelques mois auparavant, François Mitterrand avait été élu président de la république, Barbara avait composé une chanson qu’elle avait chantée lors de son dernier concert à Pantin. Cette chanson, c’est « Regarde ».




 « Regarde 
 Quelque chose a changé.
 L'air semble plus léger. 
C'est indéfinissable.
Regarde 
Sous ce ciel déchiré, 
Tout s'est ensoleillé. 
C'est indéfinissable. 
Un homme, Une rose à la main,
A ouvert le chemin 
Vers un autre demain. » 


 L’élection de Mitterrand en 1981 avait été vécue comme un immense moment d’espoir et de liberté. Le concert de Barbara à Caen, en plein « état de grâce », prenait une dimension toute particulière. Avec ma bande de potes, nous avions décidé de réserver les trois premiers rangs du théâtre et tous munis d’une rose rouge, nous attendons que Barbara entonne les premières mesures de « Regarde » pour brandir nos roses sous les yeux effarés du public, et, sur les dernières notes, les jeter au pied de la chanteuse, absolument abasourdie ! Ce concert est resté longtemps dans la mémoire des caennais, certains m’en parlent encore aujourd’hui.

 C’était la première fois que je voyais Barbara « en vrai », au premier rang, j’avais l’impression qu’elle ne chantait que pour moi. Près de moi, Jérôme a écrit une longue lettre à la chanteuse qu’il lui lance sur scène lors des rappels. Malheureuse idée ! Comme chacun sait, Barbara était myope et quand elle a vu cette lettre voler pour atterrir près du piano, elle a eu un moment de panique, ne sachant de quoi il s’agissait. Après le concert, alors que nous faisons le forcing pour approcher sa loge, on nous apprend que Barbara va signer des autographes mais qu’elle le ferait par petits groupes. Quand arrive notre tour (je ne vous dis pas dans quel état nous étions !) l’ami Jérôme demande à Barbara si elle a lu sa lettre ! Comprenant que le responsable de « l’incident » est devant elle, la chanteuse commence par gronder le pauvre garçon qui ne sait plus où se mettre. « Une scène est faite pour chanter, pas pour poster sa correspondance ! C’est dangereux ce que vous avez fait ». Puis après un temps, elle murmure : « mais, votre lettre, je la lirai ». Jérôme est aux anges ! J’en profite pour lui faire dédicacer la partition du « Bel âge ». Les grands yeux de Barbara me scrutent : «c’est un bon choix car c’est une beau texte ». Grande émotion aussi pour moi.



 En 1981, Yann a rejoint depuis un an Marguerite Duras aux Roches Noires de Trouvile, je continue à découvrir l’œuvre immense de Barbara. Peu de chansons nouvelles pendant cette période, les anciens enregistrements suffisent à mon bonheur. Un nouveau concert à Caen est programmé cette fois au Parc Expo. A cette époque, je suis animateur d’une radio associative et j’annonce à qui veut l’entendre le prochain concert de Barbara tout en matraquant ses titres à longueur d’émissions. Le jour du concert, Barbara arrive pour les premières répétitions dans une salle que les organisateurs ont oublié de chauffer. Nous sommes en plein hiver, il fait 3° dans le hall et Barbara, furieuse, décide de tout annuler. Les spectateurs sont prévenus par la radio quelques heures avant le spectacle mais pour certains, venus des quatre coins de la région, il est trop tard ! Devant les portes du parc expo, j’ai cru ce soir-là que les fans allaient tout casser. Quelques mois plus tard, Barbara programme à nouveau un concert dans la même salle et avant de commencer à chanter s’excuse d’avoir fait faux bond, explique pourquoi elle ne pouvait pas chanter dans cette salle glacée. Le public lui fait un triomphe, notre petite bande, toujours dans les premiers rangs, est debout sur les chaises ! La chanteuse est pardonnée mais pas la municipalité.



 La voix de Barbara n’a déjà plus la pureté des premiers succès, mais qu’importe, en 1985, elle compose un opéra autobiographique « Lily Passion » qu’elle interprète avec Gérard Depardieu. Janvier 1986, c’est la première au Zénith de Paris, je suis dans la salle avec mon ami Thierry Rabourdin. Barbara apparait sur scène tel un cygne noir, les bras en croix.

« J'entends la foule qui crie mon nom, Lily-Passion, Lily-Passion, 
Et j'entre dans la fosse aux lions. C'est ma vie, c'est ma déraison. 
J'ai peur mais j'avance quand même. J'ai peur mais j'aime, J'aime. » 

 Pendant deux heures, Barbara est Lily, la magie opère une fois encore, les textes des chansons sont sublimes, Gérard Depardieu lui donne la réplique avec beaucoup de talent. Les spectateurs sont tous debout l’issue du spectacle, les rappels dureront 50 minutes, du jamais vu pour moi. Je vois Barbara sur scène pour la dernière fois en octobre 1987 au Châtelet avec mon ami Thierry. Sa belle voix est définitivement partie et nous sommes peinés de constater à quel point il lui est difficile de monter dans les aigus. De ce fait, l’interprétation de ses principaux succès est adaptée pour pallier cette difficulté mais l’émotion suscitée est toujours présente.

 En 1993, elle donne à nouveau une série de récitals au Châtelet, je décide ne pas m’y rendre, préférant restant avec le souvenir de sa voix cristalline.


 Le 24 novembre 1997, j’apprends sa disparition chez moi, à Tilly-sur-Seulles, comme beaucoup, par la télévision. Grand choc, grande tristesse, la plus grande chanteuse du XXème siècle s’en est allée. « Quand ceux qui vont, s'en vont aller, Quand le dernier jour s'est levé Dans la lumière blonde, Quand ceux qui vont, s'en vont aller, Pour toujours et à tout jamais Sous la terre profonde, Quand la lumière s'est voilée, Quand ceux que nous avons aimés Vont fermer leur paupières, Si rien ne leur est épargné, Oh, que du moins soit exaucée Leur dernière prière : Qu'ils dorment, s'endorment Tranquilles, tranquilles. »

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